Depuis la fin de la deuxième guerre, le développement a servi à légitimer de nombreuses politiques économiques et sociales en miroitant lavènement dun bien-être mondial.
Pourquoi serait-il inconvenant de reconnaître que les causes les plus nobles ont souvent entraîné des conséquences dramatiques ? En quoi le développement comme il a été conçu et compris diffère til de la colonisation ?
Ces quelques lignes nont pas pour vocation daccabler la coopération au développement et laide internationale mais de prendre du recul sur le concept même de développement. Dailleurs, lenjeu est avant tout politique, les acteurs du monde en développement formant la périphérie du système en sattribuant une légitimité pour pallier les effets de politiques injustes. Déjà Tocqueville avait perçu la faille : » Il faut une science politique nouvelle à un monde nouveau. Mais cest à quoi nous ne pensons guère, placés au milieu dun fleuve rapide, nous fixons obstinément les yeux vers quelques débris, quon aperçoit encore sur le rivage, tandis que le courant nous entraîne et nous pousse vers les abîmes ».
Afin de cerner le concept tel quil est entendu aujourdhui, quelques petits rappels historiques sont nécessaires. Entre les années 1870 et 1940, les grandes puissances ont ouvert la voie au développement. Lenchaînement des discours et des pratiques qui, pendant ces années la, ont conduit à lère du développement revêt une grande importance afin de saisir lorigine du terme.
Ainsi Victor Hugo sexprimait lors dun banquet commémoratif pour labolition de lesclavage : » Au 19ème siècle, le Blanc a fait du noir un homme ; au 20ème siècle lEurope fera de lAfrique un monde. Refaire ne Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation tel est le problème ; lEurope le résoudra. Allez, peuples ! Emparez vous de cette terre ! Prenez la ! A qui ! A personne. Prenez cette terre à Dieu ! Dieu donne la terre aux hommes. Dieu offre lAfrique à lEurope. Prenez la ! Ou les rois apportaient la guerre, apportez la concorde ! Prenez la non pour le canon, mais pour la charrue ! Non pour le sabre mais pour le commerce ! Non pour la bataille mais pour lindustrie ! Non pour la conquête, mais pour la fraternité ! Versez votre trop plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales !Changez vos prolétaires en propriétaires ! Allez faites !Faites vos routes, faites des ports, faites des ville ! Croisez, cultivez, colonisez, multipliez ! Et que sur cette terre de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, lesprit divin saffirme par la paix et lesprit humain par la liberté ! »
Voici une bonne synthèse de la justification philanthropique de la colonisation. Il ne fut pourtant pas facile de convaincre lopinion cependant les réticences tombèrent sous le poids de deux arguments : tout dabord la colonisation nest pas une affaire de choix mais un devoir, lautre argument est celui du fait accompli.
Si la colonisation a élaboré un argumentaire permettant de justifier lintervention dans les pays extra européens pour servir les intérêts nationaux, la Société Des Nations (SDN) va légitimer linternationalisation de cette intervention au nom de la civilisation considéré comme le patrimoine commun des Etats européens.
Article 22 de la Chartre de la SDN : « Le bien être et le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation
». La justification du système des mandats établis après la deuxième guerre mondiale est donc coulé dans un langage humanito-religieux qui se réfère à une mission sacrée de civilisation dévolue aux puissances coloniales. IL y aurait donc au delà des intérêts économiques et politiques, des valeurs universelles, à savoir la civilisation, le bien-être matériel et moral, le progrès social
, dont on peut légitimement des réclamer pour se intervenir dans lexistence dautres peuples.
La colonisation et le système des mandats occupent donc le même espace temporel, spatial et idéologique. La communauté internationale semble dorénavant englober tous les peuples du monde et sa croyance ou sa bonne conscience paraissait reposer sur un consensus universel.
Lidée su développement restait cependant à construire. Cest le président Truman qui lors de son discours dinvestiture du 20 Janvier 1949 a inauguré « lère du développement » avec son point IV. IL propose une nouvelle manière de concevoir les relations internationales. Cest dans ce discours quapparaît le terme »sous développement ». Auparavant, les relations Nord/Sud était basé sur le couple colonisateurs/colonisés. Dorénavant il y a les développés et les sous développés. On retrouve aujourdhui cette nomenclature à lONU : « developed countries »/« developing countries ». Cette nouvelle dichotomie bouleverse les schémas cognitifs, une vision linéaire du temps apparaît. Nous sommes tous sur une même route, certains sont en avance, dautres en retard. Lautodétermination qui a suivi la deuxième guerre mondiale était une farce. Lorientation des peuples du Sud a été volé à lappui de schéma ancien mais avec de nouveaux mots.
Notre société est finalement peut être plus emprunte de croyances que le continent africain. Il est étonnant dobserver à quel point les occidentaux dans leur majorité ont une vision angélique le lOrganisation des Nations Unis. Finalement la vision de lONU est que les outils du développement sont la croissance économique et laide au développement est très proche de la pensée dominante. Son image est bonne car son objectif initiale est la promotion de la paix et donc du multilatéralisme, cependant le schéma est encore une fois développement = occidentalisation.
La croyance en le système qui nous englobe est plus forte que le doute quil engendre.
Pour appuyer ces quelques arguments, je laisserai la place à Edgar Morin : »Le développement, apparemment universalise, constitue un mythe typique du sociocentrisme occidental, un moteur doccidentalisation forcené, un instrument de colonisation des sous développés par le Nord
Ceci doit nous amener à nous défaire dabord du terme de développement, même amendé et amadoué en Développement Durable, soutenable ou humain
La notion de développement doit à mon sens être remplacé à la fois par une politique de lhumanité (anthropique) que jai depuis longtemps suggéré et par celle dune politique de civilisation. »