Nétait-il pas temps après 3 ou 4 ans dans une école qui sappelle « Ecole Internationale de Commerce ET de Développement » de chercher à comprendre ce que recouvre et signifie à nos yeux ce « concept-valise » quest le « développement ? »
En effet beaucoup de questions nous trottent dans la tête depuis un certain temps et nous souhaitions donner loccasion à tout un chacun de proposer ses propres pistes de réponses. Le postulat de départ était quaucun de nous ne savait tout sur le développement mais que chacun savait quelque chose qui pouvait être utile aux autres. Convaincus qu1+1=3 nous avons donc décidé dorganiser cette rencontre informelle autour dune tasse de thé pour croiser nos idées et nos regards sur « Le Développement ».
Une trentaine détudiants, majoritairement de lEcole 3A - mais pas seulement - se sont retrouvés le dimanche 28 novembre pour participer à cette journée. Ils se sont séparés en trois groupes de travail distincts. En fin de journée tout le monde sest retrouvé pour échanger sur nos pensées de laprès-midi et en faire ressortir quelques « lignes de forces » pour guider notre réflexion en matière de « développement » et notre action sur des « projets de développement ».
I. Un peu de sémantique : « Quest-ce que le développement ? »
Nous avons dabord défini le développement comme « un idéal vers lequel tendre », avec lidée de bien être, du respect des aspirations de chacun, que chacun puisse décider de ce quil veut vivre.
Mais nous nous rendons compte que « le développement est aussi quelque chose de concret ; ce nest pas juste ce que nous voulons quil soit ». En effet le développement est généralement entendu comme un « processus où il sagit de grandir, de changer, de complexifier ». Nous retenons lidée dune croissance, dune augmentation.
Dailleurs les définitions données par le dictionnaire Larousse vont plutôt dans ce sens :
Nous pouvons noter que ces définitions sont quelque peu réductrices.
Nous relevons un paradoxe dans le discours dominant. On nous explique sans cesse quil faut distinguer croissance économique et développement. Pourtant, on mesure aujourdhui la différence entre le « niveau de développement » des pays, uniquement par des indicateurs quantitatifs alors quil sagit dun phénomène éminemment qualitatif. Nest-ce pas ici la force du monde occidental à savoir la prédominance des chiffres alors que le processus de développement relève avant tout dun changement détat desprit, de perception, dobjectifs ?
En outre, le "sous-développement" est défini par rapport à une "norme", cest-à-dire lEurope et les Etats-Unis. Comme nous avons eu la dialectique entre civilisé et non civilisé nous avons aujourdhui les développés et les sous-développés. Les mots changent, quen est-il de la vision ?
Le développement ne serait il pas plutôt la capacité dun pays à définir sa propre autodétermination ?
II. Réflexions de fond sur le développement
A. Le Constat
1) Le développement, un échec ?
Force est de constater aujourdhui à quel point loeuvre « développementaliste » est un échec. En effet nombreux sont les chiffres qui viennent tous les jours conforter cette idée : - La moitié de la population adulte de 23 pays est analphabète. - Plus de la moitié des femmes de 35 pays ne sait ni lire, ni écrire. - 1,1 milliard de personnes nont pas accès à leau potable.
Il semblerait que le développement suniversalise mais nest pas transculturel. Il serait donc avant tout une occidentalisation du monde menée par les institutions de Bretton Woods.
Pourtant, en quoi le développement devrait-il être une occidentalisation du monde ? Nest-ce pas une violation dun droit fondamental de lHomme que de confisquer lorientation dun groupe de personnes et dimposer un mode de vie ? Oeuvrons pour un développement qui se veut transculturel et non universel.
Par ailleurs si nous prenons limage des richesses comme un gâteau, nous réalisons que la vision capitaliste cest de dire, puisque nous ne voulons pas le partager, nous allons lagrandir ainsi tout le monde en aura (même si cela augmente évidemment beaucoup plus vite pour ceux qui sont déjà riches).
Question : le gâteau peut-il sagrandir jusquà linfini ?
La réponse est de plus en plus clairement, « non ». Les nuisances environnementales de toutes les activités humaines ne font que saccroître, allant jusquà menacer la planète et ses espèces dont lespèce humaine.
2) Quand le développement crée la pauvreté : lexemple du Ladakh
Lexemple du Ladakh - une région dans lHimalaya Indien - est symptomatique dune politique de « développement » qui a « créé de la pauvreté ».
En effet, jusque dans les années 70, la société ladakhie est restée relativement amicale, chaleureuse et rurale. Les gens vivaient paisiblement ensemble dans des villages une vie enrichissante. Laborieuse aussi, bien sûr, mais où le dénuement matériel nest pas signe de misère ni disolement, où la famine nexiste pas, où le travail nest pas une aliénation. Aussi incroyable que celui puisse paraître, les gens vivaient tout simplement heureux. A partir des années 70, le Ladakh va « souvrir au monde ». Sans verser dans un manichéisme excessif ou simplificateur, nous nous apercevons que petit à petit, le tourisme, linfluence occidentale et le modernisme vont bouleverser les repères et les mentalités. Pas à pas, le processus dit de "développement" va saccompagner dun sentiment dinfériorité chez les "sous-développé-e-s" et dun rejet de leur propre culture. Nous nous rendons compte ainsi que la pauvreté peut prendre plusieurs visages : celle du dénuement matériel, qui était autrefois bien vécu au Ladakh, et celle de la misère sociale, celle liée à un complexe dinfériorité, qui ravage aujourdhui la société ladakhie. En effet, avant louverture au monde « Occidental » et à la société de consommation dans les années 70, il ny avait pas de « chômage » au Ladakh, personne ne vivait dans la rue,... Aujourdhui le chômage et les personnes sans domicile sont en constante expansion. En échange il est possible de se vêtir avec des Levis, de regarder la télé et de traire des vaches suisses qui ne peuvent pas se reproduire à cette altitude.
Pour plus dinformation voir le livre d Helena Norberg-Hodge, « Quand le développement crée la pauvreté : lexemple du Ladakh ».
B. Pourquoi le développement a-t-il échoué ?
1) Quest-ce qui détermine notre vision du développement ?
Notre vision cognitive sest construite avec notre environnement, notre éducation, nos systèmes de valeurs et références. Il apparaît donc indispensable de se détacher de notre représentation occidentale du monde pour travailler efficacement sur des projets de développement.
Par exemple :
2) Pourquoi voulons-nous tant « développer » les autres ?
Le développement est issu dun système capitaliste conçu par le centre pour la périphérie. Nous distinguons donc les motivations du centre du système et celles de la périphérie en adoptant la théorie de Samir Amin : les relations entre le Nord et le Sud sont bâties sur un système qui a été pensé au Nord et imposé au Sud.
Les motivations du centre sont de plusieurs ordres :
Humaines :
Stratégiques
Du côté de la « périphérie » la volonté de développement consiste en une envie daffirmer sa capacité à lautodétermination et à retrouver sa fierté perdue, sa dignité.
C. Quels moyens de renouveau pour le développement ?
La question pourrait aussi être « quelle réforme pour un meilleur développement ? » Nous avons constaté que le développement est une oeuvre hypocrite : jamais lensemble des habitants du monde ne pourra prétendre à un niveau de développement semblable au nôtre car la planète exploserait. Nous avons aussi remarqué à notre grande majorité quen tant que Français, nous sommes plus à même dimpulser une dynamique de changement dune partie des valeurs occidentales - que nous considérons comme néfastes pour lHomme - et qui influence profondément toute action développementaliste. A savoir leurocentrisme, la considération de lêtre insatiable, du "toujours plus", le sentiment de supériorité paternaliste, de lêtre dit « civilisé »...
Dautre part, dans un champ qui peut apparaître plus « révolutionnaire » - alors quil ne fait que se recentrer sur les aspirations plus profondes de chaque être humain - nous avons énoncé le fait quil serait positif de revenir à un chemin déquilibre. Ce chemin est celui des sociétés que certains nomment les sociétés non civilisées ou traditionnelles. Sans vouloir relancer le mythe du « bon sauvage », nous ne pouvons que constater que ces sociétés « humaines » se manifestent à travers léquilibre quelles trouvent entre la nature et les personnes, entre nos besoins et nos ressources. Aujourdhui, notre société occidentale (et malheureusement la plupart des autres suivent notre chemin) ne marche absolument pas vers une voie équilibrée. Au contraire elle se fonde sur le changement perpétuel, sur la quête de linnovation, sur le "toujours plus" et donc sur léternelle insatisfaction.
Comment faire pour entreprendre ce virage à 90 degrés ?
Finalement le changement de cap vers un monde plus respectueux des aspirations de chaque être humain commence dans nos actions de tous les jours. En effet, telle une goutte dencre versée dans un verre deau, notre action doit se diluer et sétendre jusquà toucher la plus petite, la plus fragile et la plus aigrie des molécules deau qui composent ce verre pour réussir à faire avancer le monde dans son ensemble.
Toutes les personnes ont une chose en commun, leur humanité. Contribuer à un mieux être de tous les jours passe par une attitude, par des regards. On peut exclure dun regard, dun geste et bien sûr dune parole. Contribuer à un mieux-être, cest considérer chaque homme comme son égal et ne pas offenser sa dignité. La dignité est le carburant qui nous permet à tous davancer.
III. Comment faire pour bien faire ? Comment mener un projet de développement qui ne soit pas « inutile », voir contre-productif ?!?
A. Pourquoi sengager ?
Il nous a semblé quun des pré-requis pour appréhender ce qui faisait le « succès » dun projet de développement était la compréhension des raisons qui nous poussent à nous engager à travailler sur ce genre de projets.
Il en ressort lenvie, voir le besoin, de satisfaire notre côté « humaniste », de se sentir « utile ». Nous recherchons aussi un véritable échange, un enrichissement mutuel. La relation doit exister dans les deux sens.
Il ne sagit pas forcément de sengager "à vie" dans une ONG. Nous pouvons naviguer entre les deux "mondes" (ONG et entreprise). Dailleurs nest-il pas intéressant daller dabord travailler 4 ou 5 ans dans une entreprise pour acquérir une expérience "professionnelle" et "technique". Puis daller avec ce bagage travailler dans le secteur associatif ?
Travailler dans le « développement » cest avant tout une responsabilité !!! Il faut se rendre compte de lespérance que les personnes concernées par les projets placent en nous. Nous sommes responsable vis à vis deux. Nous ne pouvons pas aller se former à létranger au détriment des populations locales, « sur le dos des autres ».
Ceci pose la question des stages où nous croyons savoir faire alors que nous devrions savoir que ce nest qune croyance. En effet, les 3A (dans le sens des 3 continents du Sud) ne peuvent pas être perçus comme de formidables lieux dapprentissage - ou cours de récréation - où nous pourrions aller nous confronter au réel grâce à nos échecs,... Car le problème est que ce réel, ce sont des êtres humains !
B. Quelques « facteurs clés de succès » dun projet intéressant
Un projet de développement veut toujours "améliorer" quelque chose. Mais quest-ce qui nous dit que ce que nous allons faire va leur convenir, leur correspondre ?
Au cours de nos discussions nous avons beaucoup insisté sur le fait que les projets doivent à la fois EMANER, être PORTÉS et MENÉS par les personnes concernées par le projet. Cela signifie quun projet doit non seulement répondre à un besoin mais aussi à une demande de la part des populations locales.
Cependant il ne faut pas tomber dans lextrême inverse où lONG du Nord se confine dans un rôle dobservateur, au risque de devenir un ethnologue. Un projet se nourrit avant tout de dialogue, déchange et découte mutuelle.
Finalement nous sommes là pour donner « un coup de pouce », un accompagnement, initier le dialogue, aider à prendre du recul, proposer des formations adaptées, mettre à disposition nos techniques...
Cest lorsque le projet devient viable et lancé que les accompagnateurs peuvent se retirer, peu importe la durée.
Le problème est quune grande majorité des projets de développement doivent répondre à des exigences très strictes des bailleurs de fonds qui travaillent souvent dans un espace-temps plus réduit. Les initiateurs du projet nont donc pas toute leur liberté pour mener à bien le projet.
Cependant sur le long terme les grandes agences de financement perdraient moins dargent si elles en investissaient un peu plus au départ pour prendre le temps de sentir si le projet sera réellement utile. En effet combien dargent est gaspillé dans des projets superflus voire contre-productifs ?
Ainsi, même « économiquement », pour les bailleurs de fonds, cela vaut le coup de chercher à comprendre les bénéficiaires du projet et de monter le projet avec eux afin davoir des chances de faire un projet qui fonctionne dans la durée.
A nous de le faire comprendre aux bailleurs de fonds...
C. Lexemple positif de la Cour aux cent métiers au Burkina
Lors de cette journée de réflexion nous avons beaucoup parlé de lexemple dun projet « intéressant » : la « Cour aux cent métiers » à Ouagadougou au Burkina Faso.
Cette initiative fut orchestrée par le mouvement ATD Quart Monde. Le point de départ de ce projet : deux volontaires sans objectif plus précis que dapporter leur soutien aux enfants des rues de Ouaga. Pendant deux ans, ils ont été à leurs côtés afin de simprégner de leur environnement, de comprendre leurs envies, leurs rêves, leurs ambitions ainsi que les mécanismes de solidarité qui existaient déjà entre les enfants des rues eux-mêmes et entre ces derniers et les habitants de la capitale burkinabée. De nombreuses autres associations présentes sur le terrain ont manifesté leur scepticisme car laction, selon eux, tardait trop à se mettre en place. Selon eux, il y avait des besoins urgents auxquels toute association se devait de répondre. Néanmoins, étant donné que la philosophie du mouvement ATD Quart Monde est portée sur la compréhension de lautre, sur la dynamique positive, il nétait donc pas question de faire vite en prenant le risque de faire mal. Dautre part, les volontaires dATD nont jamais souhaité imposer une action, ils ont toujours attendu que les enfants leur manifestent leurs besoins et surtout leurs envies. Dans un sens, ce sont les enfants qui ont créé leur propre projet et qui lont développé. Les volontaires dATD nétant quun soutien. Au bout de deux ans de rencontres et déchanges, la première « action » des volontaires dATD a été de laisser à disposition des enfants un jet deau où ceux-ci pouvaient se laver. En effet ils sétaient aperçus que les enfants nosaient plus chercher du travail, aller voir leur famille, et même bénéficier de laide dautre ONG car ils étaient sales et quils en avaient trop hontes. Ainsi le simple fait de pouvoir être propre - et donc fier - relançait les enfants dans une dynamique positive et un cercle vertueux. Dans un deuxième temps, il a été décidé de construire un lieu daccueil pour les enfants - en prenant quatre des plus fragiles de ces jeunes pour faire la construction - (réaction des enfants : « mais si eux ils ont réussi à construire ça, alors nous aussi on le peut ! »). Puis sont venus de courtes formations adaptées aux souhaits des enfants, puis un dispensaire, etc.
Ce projet, nous permet de sentir à quel point cest le mépris qui crée lexclusion car il touche la personne dans sa dignité dHomme. Il en ressort toute limportance de prendre le temps de comprendre les gens avec qui lont veut travailler, détablir une relation de confiance avec eux. Un projet a besoin pour « réussir » de chercher à réinstaurer la fierté perdue de chacun.
Conclusion
Au moment de tirer le bilan de cette journée, la satisfaction est au rendez-vous. Loin de nous avoir apporté des recettes miracles sur la manière de porter un projet de développement respectueux de chacun, cette journée nous a permis dinitier un processus de réflexion salvateur et qui nous aide à avancer intellectuellement et pratiquement.
Le développement reste pour nous une masse dinterrogations que nous navons fait queffleurer, néanmoins, limportant nétait pas davoir le dernier mot mais de trouver le « juste premier »...
Cette journée nétait pas une fin en soi, mais le début dune prise de conscience.
Nous souhaitons continuer sur cette lancée. Nous espérons que ni lâge ni quoi que ce soit nanéantira cette force revendicatrice qui coule en nous, cette force de décision pour que demain le monde change, car cest à nous de le dessiner, ensemble.
Il sagit de réfléchir sur notre manière dagir à la fois dans notre vie de tous les jours et dans la manière dont nous travaillerons demain sur des projets de développement. Nous cherchons comment assumer les responsabilités individuelles et collectives qui découlent de notre citoyenneté, pour aller vers des relations beaucoup plus équilibrées où le Nord peut apprendre du Sud et où ceux qui sont intégrés dans la société peuvent apprendre de ceux qui vivent lexclusion, tout en se respectant. Partout à travers le monde, même ici à Lyon où tant de familles fragilisées par les difficultés de la vie, voient leurs liens familiaux brisés dans des logements insalubres qui ressemblent fort à des bidonvilles, lhomme demande à lhomme « qui suis-je pour toi ? ». Mais oui au fond, « qui suis-je pour toi ? »
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